Eleonas

23 octobre

Photo de Project Elea

En rentrant hier soir, j’avais l’impression d’avoir passé la journée sur un grand huit émotionnel. Après notre première journée de volontariat, je me sentais riche d’humanité et remplie de faire quelque chose ayant pour moi tant de sens.
 
Notre équipe ! Rebecca, Emilie, Alice, Romain et moi.
Nous sommes arrivés à 5 à Athènes hier soir avec de précieux dons et 4 valises remplies de vêtements d’hiver, de matériel de bricolage, de jeux et d’équipements de sport. Après une visite matinale de l’Acropole, nous avions rendez-vous à 11h45 au camp d’Eleonas, situé à quelques arrêts de métro de notre appartement, dans la zone industrielle de la ville. En arrivant à la station de métro, nous avons étés accueillis par une pluie diluvienne. Abrités sous un toit, nous avons pourtant croisé les anarchistes athéniens qui resteraient là 3h. En effet, je les avais déjà vus au mois d'avril, puisqu'ils protestent presque toutes les semaines pour défendre les droits des réfugiés. Ce jour-là, un des participants vient nous expliquer qu’ils ont organisé une contre-manifestation contre celle du parti « néo-nazi » d’extrême droite appelé Golden Dawn.

Les manifestants du parti anarchiste grec

Le chemin pour aller jusqu’au camp passait par une route désertée dans une zone laissée à l’abandon. Là-bas, le manque d’évacuation était si grave qu'il y avait souvent plus de 10cm d’eau sur le chemin. L’entrée du camp était reconnaissable au fait que des enfants jouaient autour du portail, devant lequel s’était rempli un lac. Plusieurs adultes les entouraient aussi pour rire du fait que chaque passage de véhicule créait une grande vague que les enfants postés autour jouaient à éviter.

Les véhicules qui passent devant l'entrée du camp en créant des vagues qui amusent les enfants

Depuis l'entrée du camp
Vue du portail d'entrée depuis l'intérieur du camp
En passant le portail, nous apercevons les portes-à-cabines qui servent de lieu d’habitation aux résidents, comme les appelle notre association. A gauche, une poignée de migrants s’abritent sous une tenture allant jusqu’à un autre porte-à-cabines appartenant au ministère grec. Les employés nous informent que nous sommes bien au lieu de rendez-vous de l’association Project Elea, mais qu’ils ne se rencontrent qu’à 14h. Complètement trempés, nous nous asseyons en attendant aux tables en bois qui sont posés sous la tenture. La pluie continue de s’abattre sur le camp et l’une d’entre nous commence à avoir vraiment froid, si bien qu’elle tremble. Peu de minutes après, nous recevons une couverture d’un homme qui s’est lui-même trempé pour nous l'apporter depuis chez lui. S’en suivent deux autres qui font de même pour nous apporter du thé chaud, en nous disant « Vous faites quelque chose pour nous, nous voulons faire quelque chose pour vous ».
  
En attendant le meeting
Arrivent enfin des volontaires. Nous sommes une douzaine lorsque le meeting commence. Katie, une jeune anglaise, nous explique le fonctionnement du camp. Eleonas se divise en 3 secteurs. Il y a 1500 résidents dans les secteurs 1 et 2, qui sont gérés par le ministère de la migration et auxquels nous avons accès, puis un 3e secteur de 700 personnes, géré par l’armée et dans lequel nous ne pouvons pas rentrer.  (Nous ne savons pas encore pourquoi l’armée ne gère qu’une partie du camp). 50 nationalités sont représentées (parfois il n’y a qu’un homme seul pour représenter un pays), dont surtout des Afghans, puis des Syriens et des Pakistanais. C’est le camp le plus ancien de la Grèce continentale, fondé en août 2015, puis il est également connu pour être le « meilleur ». Effectivement, c'est le plus confortable et il présentant le plus d’activités pour les résidents, grâce au Project Elea notamment. Les résidents sont logés au nombre de 12 maximum dans des portes à cabines d’environ 35m2 qui ont chacun une salle de bains avec toilette et douche, climatisation et chauffage. UNHCR a aussi son porte à cabine sur place, ainsi qu’une autre organisation dont je dois vérifier le nom et qui s’occupe entres autres de donner un peu d’argent à chaque famille (j’ai entendu murmurer 180 euros mensuels par famille). Depuis 2 semaines, les enfants ont fait leur rentrée scolaire. Ils sont accueillis dans des écoles grecques, où de enseignants grecs leur donnent des cours de maths, grec, anglais et sport tous les jours de 14h à 18h. Nous ne sommes heureusement pas ici en situation d’urgence, comme j’ai pu connaître au Pirée, où il n’y avait pas encore de douches et je n’osais pas aller aux toilettes car il y en avait environ une par centaine de personnes.
 
Portes à cabines résidentielles pouvant loger jusqu'à 12 personnes





Les activités de l’organisation consistent surtout à distribuer la nourriture fournie par le ministère, distribuer des vêtements et animer des activités éducatives pour les enfants et adultes, ainsi que des ateliers créatifs et du sport. La volonté de Project Elea est d’impliquer au maximum les résidents pour que ces projets leur appartiennent, mais ils sont confrontés au fait que personne ne souhaite vraiment s’investir, puisque les migrants ont tous en tête de partir au plus vite. C’est donc très difficile de construire quelque chose ensemble.
Tableau d'inscription aux activités pour les volontaires

Lors du meeting, les volontaires s’inscrivent pour des activités. Je lève la main pour participer à l’atelier avec les enfants, puis la distribution du repas du soir. Je suis alors la responsable de l’activité, qui m’emmène dans la grande tente ouverte, lieu d’une grande partie des activités. Nous étalons des tapis sales sur les quelques mètres carrés qui n’ont pas été trempés par la pluie et nous mettons de la musique pour attirer les enfants. C’est une journée particulière, non seulement parce que c’est samedi et que le weekend est moins structuré, mais aussi à cause du fait que le camp est en grande partie inondé – les portes à cabines sont heureusement surélevés. On nous propose aux 4 volontaires présents de faire dessiner la quinzaine d’enfants, ou alors de leur distribuer des stickers ou de danser sur la musique que nous allons mettre. Les stickers fonctionnent très mal, car les enfants se disputent et se plaignent pour en avoir plus. Mais je suis rassurée de voir que globalement, les enfants sont clairement plus posés, moins agités et moins agressifs que ce que j’ai pu constater six moins avant au Pirée. Et ils parlent tous un peu d’anglais. Les tous petits comprennent déjà « what’s your name ? » et les grands savent dire pas mal de choses. Cela nous facilite tellement la vie !! La musique est gérée par un volontaire qui branche son téléphone à des hauts parleurs, faisant résonner de la musique latine qui me paraît augmenter en volume au fil de l’activité. J’ai vite l’impression d’être dans une discothèque, et visiblement les enfants aussi. Ils finissent par s’agiter énormément, et des pleurs mettent fin à l’animation musicale.

Nous sommes en train de balayer les stickers étalés partout lorsque je vois apparaître Zahra* (nom d’emprunt), une petite fille de 12 ans, que je reconnais du Pirée ! Elle se souvient très bien de moi et je suis très émue de la retrouver. C’est une fille si intelligente, jolie et sociable qui m’apprenait déjà des mots de farsi, et qui parlent maintenant vraiment bien l’anglais. Une perle en fait. Mais elle vient d’Afghanistan, et n’a pas droit à l’asile dans les conditions actuelles – puisque l’UE a déclaré il y a quelques mois que l’Afghanistan était un pays sûr, après tout. Au cours des neuf premiers mois de 2016, 8.397 civils ont pourtant été comptabilisés comme victimes de combats, selon l’ONU, dont toujours plus d’enfants. Comme tous les autres enfants du camp, elle a dû louper au moins un an d’école, et probablement bien plus. Mais c’est un souci de 2e catégorie, lorsque ce qui est en jeu est de rester en vie.

Vers 17h, j’ai aidé à préparer de l’henné pour l’atelier destiné aux femmes et aux enfants. Ensuite, mes amis et moi nous sommes attelés à la distribution de nourriture avec l’aide de deux volontaires espagnols. Les résidents font la file devant les deux fenêtres du porte à cabine concerné. Nous sommes deux équipes de 3 volontaires répartis aux deux fenêtres devant chacune desquelles il y a une file d’hommes et une file de femmes, que nous servons en alternance. Comme c’est le weekend, il y a de la viande (au moins une fois par semaine). Pour cette raison, cela risque d’être compliqué. En effet, en général la nourriture n’est jamais entièrement distribuée, car elle n’est pas très bonne – il faut imaginer des barquettes de vols cheap, c’est le même pain asséché qu’ils reçoivent pour le petit déjeuner. Mais lorsqu’il y a de la viande, tout part en général.

Pour chaque porte à cabine, un résident se présente avec un cageot ou un sceau, dans lequel nous mettrons la nourriture, et une feuille A4 désagrégée aux trois quarts avec un numéro dessus. Nous cochons alors sur notre liste que ces personnes ont bien reçu leur repas. Pour les diabétiques ou régimes spéciaux, il faut également un justificatif pour obtenir un régime spécial (pas plus appétissant). Puis, lorsqu’il y a du lait, comme ce soir-là, il est distribué aux familles ayant de jeunes enfants et qui doivent aussi le justifier. On nous indique les éléments à distribuer : une barquette par personne (contenant de la « viande » et des pommes-de-terre), un cornet de pain pita p.p., une pomme et un oignon par famille (on en distribue lorsqu’on en a), un litre de lait aux familles en droit, et pour le matin  - car il n’y a que deux distributions de nourriture par jour, un pain sous vide p.p. et un berlingot 2dl de jus d’orange pour deux. Dès le début de la distribution, nous rencontrons des problèmes lorsque le mot sort qu’il y a du lait. Tout le monde en veut, même ceux qui n’ont pas de justificatifs. Nous leur répétons calmement que ce n’est pas possible, parfois plusieurs fois sont nécessaires jusqu’à ce qu’ils s’en aillent. Hormis cela, tout se passe assez bien, jusqu’à ce que la responsable nous dit qu’à voir les files, il n’y aura pas assez de barquettes pour tous et il faut diminuer les rations à une barquette pour deux et un jus par famille. Lorsqu’ils s’en aperçoivent, les gens commencent à compter leurs barquettes et s’en plaindre et nous devons appliquer le même comportement que pour le lait. Aux deux tiers de la distribution, on nous demande combien de boxes de 100 barquettes il nous reste. Je réponds et la responsable décide que l’on peut remonter à 80% de barquettes, donc 8 pour une famille de 10. La distribution est presque terminée lorsque je découvre que j’ai oublié de comptabiliser un boxe... Même si nous repassons à une barquette par personne, il nous reste 57 barquettes. Personne ne me fait de remarque mais… c’était pas super d’être responsable de cela. La responsable nous a alors proposé de faire le tour du camp en deux équipes si on voulait, avec chacun un cageot de nourriture. Nous nous sommes alors mis en route et avons par chance étés rejoints par un jeune homme afghan qui s’est proposé de nous servir de traducteur. Avec son aide, nous avons toqué aux portes pour proposer nos dernières barquettes. Petite parenthèse sur la frustration que je ressens face à langue. Pensant qu’il y aurait en majorité des Syriens, j’ai investi un certain nombre d’heures à apprendre du vocabulaire de base en arabe et ai délaissé ma liste de vocabulaire farsi alors qu’on final, j’ai l’impression que 80% des gens parlent farsi, qui est aussi parlé par les migrants iraniens.
Fin de soirée au retour

Nous quittons le camp vers 21.45. Nous sommes fatigués mais en grand besoin d’un débriefing autour  d’un verre. Deux arrêts de métro plus loin, nous réémergeons en plein milieu de la nightlife athénienne. Nous avons tous eu beaucoup d’émotions durant cette journée, nous avons beaucoup vécu et les discussions fusent. Evidemment, nous n’avons pas tous ressenti la situation de la même manière et différons sur certaines opinions. Mais lorsque je me rends compte qu’en fait nos affrontements d’idées concernent la manière dont ont pourrait aider au mieux les migrants, je suis touchée d’être entourée d’autant de belles personnes.



26 octobre

Il est très vrai que la misère est moins pénible au soleil… Le deuxième jour, l’arrivée vers le camp fut toute différente. Le soleil était sorti, et depuis la sortie du métro, le chemin qui était hier plus que morose s’était transformé en marché, envahi de « stands » de vêtements, de kebabs, de chaussures, de couvertures et d’autres objets utiles, le plus souvent étalés sur des draps. Toute cette animation symbolisait pour moi qu’au milieu de ce terrain vague, des brins de vie avait réussi à poussé. L’un de mes amis a pourtant aussi observé que beaucoup de Grecs faisaient aussi leur marché parmi ces objets récupérés.
 
Le marché du dimache



Durant cette deuxième journée, j’ai participé à nouveau à l’atelier avec les petits enfants. Nous les avons fait dessiner et jouer avec des legos. Par la suite, j’ai suivi une autre volontaire qui avait eu l’idée de peindre une fresque sur un des murs de béton enserrant le camp. Elle voulait d’abord peindre un fond de montagnes et de ciel bleu sur lequel les enfants viendraient peindre des bonhommes, des animaux, etc. Si l’idée était bonne, la réalisation l’était beaucoup moins. Une fois que le décor était terminé, nous avons essayé de trouver des enfants qui voulaient dessiner. Nous nous sommes retrouvés avec 6-7 petits de 5 à 10 ans. La personne en charge voulait les faire dessiner sur du papier d’abord, puis scotcher le papier sur la fresque pour qu’il puisse repeindre la même forme à côté. Pour commencer, nous n’avons eu qu’un dessin d’enfant qui ressemblait assez à quelque chose pour qu’il puisse être recopié. Nous l’avons scotché sur la fresque avec d’autres dessins faits par les volontaires. Evidemment, les enfants n’ont pas du tout compris qu’il s’agissait de copier les dessins, puisque nous n’avions pas de traducteur. Dès le moment où ils ont eu un pinceau dans la main, ils se sont mis à colorier la fresque allègrement, si bien que cela ressemble maintenant à un paysage taggé. Cette activité est malheureusement représentative de plusieurs des animations mis en place par Project Elea. En effet, le problème est qu’il ne suffit pas toujours de bonne volonté pour exécuter une idée. Dans ce camp, il y a à peu près suffisamment de volontaires, mais tout le monde n’a pas des talents de leadership, de traducteur, de formation pour travailler avec des enfants ou de sens de l’organisation. De plus, les volontaires viennent et partent régulièrement, si bien que même s’il y a des bras en suffisance, ce n’est pas facile de construire des choses dans la durée qui fonctionnent – ce qui provoque chez plusieurs d’entre nous un certain sentiment de frustration.
 
Décors de la fresque
Alors que j’étais partie à la recherche d’enfants pour participer à l’atelier, je tombe sur le petit Abdul* (nom d’emprunt) qui me demande de l’aider à comprendre des instructions pour un jeu. Il veut absolument que j’entre dans sa « maison ». Comme la maman est là et qu’elle semble ravie, je me permets d’accepter l’invitation. On me fait du thé, j’explique à Abdul qui a 12 ans les règles du jeu. Nous papotons de sa rentrée scolaire. Il est super fier de me montrer son sac d’école et son beau cahier de notes. Il fait le traducteur pour sa mère qui explique que la famille qui vivait avec eux a eu beaucoup de chance car ils sont partis la semaine dernière pour la Suisse, et qu’eux-mêmes doivent partir en Espagne. Ils me demandent si l’Espagne est un « good country », ce à quoi je réponds naturellement que oui. La mère me demande alors d’écrire la traduction anglais-espagnol d’une série de mots. Un autre volontaire leur a déjà donné les chiffres et les présentations. A présent, la mère voudrait savoir le nom des membres de la famille, puis les jours de la semaine et les mois – cela fait ressortir la notion du temps, du temps d’attente, des conversations avec les asylum offices auxquels les migrants demandent les dates des prochaines étapes, questions qui resteront le plus souvent sans réponse fixe. Je repars de chez Abdul avec le quart de sa collection de billes, qu’il veut absolument me donner, deux stylos, un bracelet qu’il a fabriqué et une invitation à venir manger chez eux cette semaine.

Le soir, nous servons à nouveau le repas du soir. C’est beaucoup plus facile à gérer cette fois-ci puisqu’il n’y a pas de lait et que le plat est constitué de riz aux poreaux, donc sans viande. Pour cette raison, il n’y a qu’une moitié des familles qui prend le plat. Les autres viennent surtout pour le jus, les pommes, le petit pain sous vide et parfois le pain pita. Le problème est que si nous commandons moins de plats, il y aura certains soirs où tout le monde n’en aura pas, comme lors de notre premier shift. A la fin de la soirée, nous devons jeter les plats restants dans les bennes. 857 moins 1, puisque l’une d’entre nous a tenu à sauver au moins un des plats en le mangeant.
 
La nourriture jetée du repas du soir

Le lendemain, les effets de notre premier jour sous la pluie les pieds dans l’eau se font ressentir. Je suis malade et je décide de laisser mes 4 amis aller au camp sans moi. Je profite de la journée pour écrire, et surtout je reçois des nouvelles de mon ami Suhaib, un ingénieur irakien de 26 ans rencontré au Pirée. Il est de retour à Athènes, alors nous prenons tout de suite rendez-vous pour nous voir le lendemain. 

27 octobre

Mardi matin, je suis allée rencontrer Suhaib à Monasterakis, la place centrale d’Athènes. Je remarque tout de suite qu’il a beaucoup changé physiquement. Il s’est laissé pousser les cheveux davantage et il porte une barbe de 3 jours avec des vêtements plus occidentalisés. Mais ce qui me surprend le plus est qu’il me prend dans les bras pour me dire saluer, chose qu’il avait gentiment refusé de faire en avril lorsque l’on s’était quittés au Pirée, puisque ce n’est pas recommandé dans sa religion. Quand je lui fais la remarque, il me dit qu’il en rigolant qu’il s’est assoupli et que ce n’est pas une faute grave après tout. Sans perdre le sourire, il me raconte d’emblée que son périple a été très dur depuis que l’on s’est vus. Il m’explique qu’il a fini par passer 3 mois au Pirée – les pires moments de sa vie. Il a ensuite été envoyé au camp de Skaramangas au nord d’Athènes quelques temps. Il s’est ensuite inscrit dans un programme qui l’a permis de se loger dans un hôtel dans une petite ville touristique. Mais là-bas, dit-il, il n’y avait pas de sens à la vie, puisque la ville était faite pour des vacanciers. C’est alors qu’un ami irakien lui a proposé de venir loger dans qu’on lui a alloué à Athènes et il est là depuis 2 semaines. Suhaib a toujours été très actif et cela ne me surprend pas de découvrir qu’il fait du bénévolat dans un centre communautaire pour donner des cours d’informatique et de programmation aux réfugiés adultes et enfants.

Il a quitté l’Irak il y a trois ans de cela, car sa ville a été encerclée par ISIS. Pour partir, il a emprunté 3’000$ qu’il doit toujours à un oncle éloigné. Il s’est ensuite rendu avec son frère en Turquie, où Suhaib travaillait dans la réparation d’ordinateurs et de téléphones. Là-bas, il est resté 2 ans mais s’est finalement décidé  à partir pour l’Europe car son travail était si mal payé qu’il ne faisait que cela. Quant à son frère, il n’a pas réussi à trouver du travail, c’est pourquoi il est parti plus tôt. Il est parvenu à faire son chemin jusqu’à l’Autriche, où il a rencontré une Indonésienne. Cela fait à présent 3 jours qu’il s’est marié et qu’il est allé vivre en Indonésie. Suhaib en revanche garde l’espoir de poursuivre un jour ses études d’ingénieur en électronique et ne peut pas envisager de se marier avant cela. Pour quitter la Turquie, ce dernier est passé vers l’île de Chios sur un bateau gonflable avec 65 personnes. Un voyage extrêmement dangereux pour lequel il a dépensé 700$ (moment où les prix étaient au plus bas. Cela coûtait 4’000$ en 2013). Après 4 jours à Chios, il est arrivé au Pirée, où les problèmes ont commencé, dit-il.
Stock de jouets


Suhayib me raconte que les employés des bureaux d’asile ne sont pas tous honnêtes. Il a connaissance de quelqu’un qui a payé 1200$ pour être relocalisé dans un « bon » pays, le Luxembourg en occurrence. Parce qu’il y a des bons et des mauvais pays. Suhayib craint d’ailleurs d’être relocalisé en Roumanie où un ami là-bas lui raconte qu’il ose à peine sortir de chez lui, car il s’y sent en danger en tant que réfugié. Il dit aussi à quel point cela prend du temps et c’est difficile de d’inscrire une demande d’asile ici et que cela lui a pris longtemps. Mais alors qu’il espérait passer à la prochaine étape, les bureaux d’asile lui annonce que son inscription n’a pas été faite correctement et qu’il faut recommencer tout le processus. Ses amis et lui se sentent poussés à bout et ils annoncent qu’ils ne quitteront pas ces bureaux sans être inscrits, et qu’ils sont prêts à y rester un mois sans manger. Les employés du bureau d’asile acceptent alors d’inscrire les jeunes hommes sur le champ, cependant Suhayib a maintenant l’impression que son dossier a été mis à la fin de la pile pour le sanctionner. C’est très dur pour les hommes seuls, dit-il. Tout le monde part avant : les familles, les mineurs non accompagnés, les personnes vulnérables… Il me raconte qu’il se sent enceint. Je m’étonne… « Yes, dit-il, because the European Union fuck me all the time ».

Je travaille ensuite sur un shift de distribution de repas de midi pour les enfants avant qu’ils aillent à l’école. Un groupe de journalistes d’origines diverses est là, à regarder ce qui se passe. Apparemment, une trentaine d’entre eux a été invité à participer à un séminaire sur la migration et ils ont maintenant droit à quelques minutes dans le camp avant d’être rapidement chassés. Je laisse mes coordonnées à une journaliste irlandaise qui voudrait me poser des questions.
Triage de vêtements que nous avons amenés de Suisse

Stock actif de vêtements

Je participe ensuite à la distribution du lunch pour adultes : du riz aux lentilles assez fade. Ensuite, je découvre le poste de distribution de vêtements. Project Elea a un porte à cabine plein à craquer de vêtements non triés. Ils ont ensuite une trentaine de boîtes triées dans un autre stock, puis un autre porte à cabine qui sert de stock actif, avec lequel les volontaires travailles et où tout est rangé par catégories. La distribution a lieu du lundi au vendredi, de 14h à 20h. Les familles sont appelées deux à deux pour venir s’habiller. A part si un enfant est à l’école, chaque membre devrait être présent. Dans la mesure du stock disponible, il reçoit alors un article de chaque chose : manteau (parfois), pull chaud, pantalon, chaussures (rarement, car il y en a peu et elles sont généralement en mauvais état), chaussettes, sous-vêtements, éventuellement bonnet et gants, surtout pour les enfants. Deux volontaires sont assignés à chaque famille pour cette tâche. L’un fait l’interlocuteur pour leur demander de quoi ils ont besoin (tout en général) et l’autre va chercher les articles dans le stock et range ceux qui ne sont pas pris. L’idée est de proposer 4 articles à choix, par exemple 4 pantalons taille S. Si aucun ne convient, on peut en ressortir 4 autres, pas beaucoup plus normalement. L’idée est que les familles restent une vingtaine de minutes mais évidemment que vêtir 8 personnes qui arrivent prend plutôt une heure, en courant. C’est sans doute pour ce poste que les opinions des volontaires se divisent le plus. En tous cas, c’est le cas parmi nous. Certains n’apprécient pas la manière dont certaines familles nous rejettent les vêtements pêle-mêle dans les bras avec à peine un regard. Pour d’autres, c’est le seul moment où les résidents sont aux commandes et cela rend leur comportement tolérable. Mais heureusement, ce ne sont de loin pas toutes les familles qui sont impolies. Il est vrai toutefois que ce poste met en exergue à quel point la question de l’identité personnelle est importante. Dans le camp, tout le monde reçoit la même nourriture, vit dans les mêmes logements… Il est naturel que lorsqu’on donne enfin la possibilité à ces personnes de sélectionner un vêtement, cela leur fait sûrement du bien et ils prennent le temps de bien le choisir. Nous (et eux aussi peut-être, à force) oublions trop vite qu’être réfugié n’est pas une identité mais un état.


Le soir, nous allons manger au restaurant avec Suhayib et son ami Mahmoud, qui ne parle pas encore très bien l’anglais. Suhayib est absolument ravi d’être là et de rencontrer mes amis. Il rit beaucoup ce soir-là, tout en nous disant que cela lui fait du bien de ne pas se sentir enceint pour une nuit.

28 octobre

Lors de la journée suivante, j’ai à nouveau participé au triage des vêtements. C’est vraiment le poste le moins facile. Accepter certaines attitudes des résidents qui nous paraissent inadaptées est une chose, mais devoir dire à un enfant qu’on n’a pas de veste ni chaussures chaudes pour lui alors que moi-même je porte ces articles est tout autre chose. Je sais qu’il ne mourra pas de froid, car les migrants ont d’autres ressources telles que d’autres points de distribution de vêtements dans la ville, ou alors la possibilité d’acheter des vêtements de seconde main chez Caritas. Néanmoins, cela fait vraiment mal au cœur lorsqu’en allant chercher dans la boîte à chaussure en taille 36, on n’ose pas proposer les 2 paires qui sont là tant elles sont en mauvais état. On se rend compte à quel point les migrants peuvent se sentir humiliés, et que leur sécurité (parfois temporaire) s’obtient parfois au prix de leur dignité.
 
Espace communautaire

L'autre espace communautaire où a lieu la zumba

J’ai poursuivi avec un atelier de tressage de fils de couleur dans les cheveux, que mon amie Emilie m’a appris à faire, avant de faire « garde » pour l’atelier de zumba. En effet, ce cours ouvert aux femmes et aux grandes filles a lieu dans une grande tente. Deux cloisons ont été posées pour diviser ce grand espace, ainsi l’atelier a lieu dans un espace clos, dont le but est de créer une zone protégée où les femmes peuvent danser sans le regard des autres et aussi enlever leur voile, qui leur tient parfois trop chaud. Malheureusement, cet espace est presque impossible à maintenir fermé, puisqu’il beaucoup trop facile pour les enfants de se faufiler sous les bâches de la tente ou de grimper par-dessus les cloisons. Ils prennent naturellement un malin plaisir à déjouer l’attention des deux « gardes », si bien que l’atelier est continuellement dérangé par des enfants qui rentrent et sortent en courant de leur espace.
 
Atelier de tressage




Le soir, nous sommes invités à manger dans l’appartement de Mahmoud, là où vit aussi Suhaib. Nous achetons un plateau de baklavas pour le dessert qui coûte 17 euros, la même somme que Mahmoud reçoit pour se nourrir pendant une semaine. Les deux autres colocataires irakiens sont présents, ainsi qu’une jeune australienne qui enseigne l’anglais au centre communautaire où Suhaib donne des cours. Il y a une super ambiance d’échange et d’ouverture ce soir-là, et Suhaib est aux anges. Il veut absolument me montrer sur son ordinateur des photos qu’il avait lors de ma semaine au Pirée. Cela me fait autant chaud au cœur que lui de voir les photos du chocolat que je lui avais offert, de nous deux entourés d’enfants ou alors de moi les bras ouverts pour lui faire un câlin virtuel au moment de mon départ, puisqu’il se refusait encore de toucher des femmes à l’époque. Nous rions de différences culturelles, nous nous intéressons à sa manière de vivre la religion et nous parlons aussi de droits de passage, des histoires de migration de chacun. L’un des irakiens part en Irlande le lendemain, ce qui fait l’envie des autres. Cependant, nous sommes étonnés de voir qu’il n’a plus du tout envie d’y aller et qu’il préfèrerait rentrer en Irak. Comme la barrière de langues est grande, nous ne parvenons pas à comprendre pourquoi « Ireland no good ». Le dernier colocataire a vécu 4 ans à Milan, puis 7 ans en Suède, où il a travaillé. Il est ensuite rentré en Irak pour enterrer son père mais n’a pas pu rentrer dans l’UE depuis. C’est ainsi qu’à présent il doit recommencer tout le processus de demande d’asile.
 
Repas aveec Suhaib et ses amis
Nous mangeons de délicieuses pommes-de-terre grillées au four avec des tomates et des oignons, accompagné de ris au petits pois, de pain et de coca. Nos hôtes partagent ensuite avec nous une shisha qui a le bon goût de la chaleur humaine avant d’échanger des au revoirs un peu émus. Une fois de plus, c’est moi qui pars tandis que lui est toujours prisonnier des conséquences de la politique mondiale.


29 octobre







Le jeudi, j’ai enfin l’occasion de discuter avec les responsables de Project Elea à propos des dons que nous avons reçus. Andreas, un Grec qui a passé 3 mois à Lesvos avant de s’impliquer depuis 4 mois dans le camp d’Eleonas, commence par me dire qu’il manque du matériel de jeu pour les enfants, de la peinture pour recouvrir les murs de béton qui entourent le camp et une seconde chaîne stéréo serait bienvenue pour rendre plus agréable l’ambiance au poste de distribution de vêtements. Je suis contente de lui apprendre que nous avons une somme assez grande et qu’elle pourrait peut-être servir à soutenir un plus gros projet. Il me raconte alors que l’association a l’idée folle d’acheter le bâtiment désaffecté qui se trouve en face du camp. Cela coûterait 30'000 euros et permettrait d’améliorer considérablement la vie des résidents en offrant un vaste espace intérieur, cloisonné et chauffé. Ils mettraient à profit les volontaires et les résidents pour faire la majorité des rénovations et cela pourrait se faire dans l’année. Le seul délai est qu’ils n’ont pas encore les autorisations et qu’il faudra prendre du temps avec un avocat pour arranger tout cela. Je demande alors à Andreas quelle est la viabilité de ce camp et jusqu’à quand il imagine qu’il restera ouvert. Il me rappelle qu’Eleonas est le premier camp à avoir ouvert sur la terre ferme grecque, et qu’il sera certainement le dernier à fermer ses portes, puisqu’il jouit des meilleures infrastructures. C’est sûr qu’il sera encore sur pied dans 5 ans, mais le plus probable est qu’il existera encore dans 10 ans. Un autre projet dont Andreas me parle est celui de créer une bibliothèque qui servirait aussi d’espace éducatif pour les adultes et les enfants. Le premier besoin des migrants qui sont venus ici était naturellement la protection et la sécurité. A présent qu’ils sont là, leur priorité est l’éducation, qui leur permet d’espérer un meilleur avenir. Le concept de ce projet est déjà finalisé et Project Elea n’attend plus que les fonds pour le mettre sur pied. Je suis très enthousiasmée par l’idée que les dons puissent apporter à la fois une aide durable et quasi immédiate, c’est pourquoi le projet me convainc. L’association me fait parvenir le document informatif que je vous partage ici, et je leur promets un versement dans la semaine !!  Aidez-nous pour la dernière ligne droite, chaque versement de 20chf compte !!

Project Elea
Account number: 153/002153-97
IBAN number: GR27 0110 1530 0000 1530 0215 397
SWIFT / BIC: ETHNGRAA
Mention : Library and Learing center

Ou

Catherine Rime
Rue du Midi 13
1003 Lausanne
CP: 17-446820-9
 
Barquette de nourriture et petit déjeuner de pain sous vide 

Durant cette journée, j’ai aussi aidé à mettre en place l’atelier de couture pour les femmes. L’association dispose de 6 machines à coudre et une réserve de tissus. L’atelier qui est mené par Massoud, un ancien couturier, permet aux femmes de raccommoder des vêtements, créer des rideaux pour personnaliser leur espace de vie, etc. Suite à cela, je participe une dernière fois à la distribution de vêtements. En ce moment, les migrants ont surtout besoin de vestes, de bonnets, d’écharpes, de gants et de pantalons d’hiver (tissus épais ou jeans) pour garçons âgés de 2 à 12 ans. Si vous avez ces articles, n’hésitez pas à me contacter. Nous ferons une récolte et les enverrons au camp.
Atelier de couture

30 octobre

Notre dernier jour au camp a démarré avec l’atelier des « Little squirrels », c’est-à-dire les enfants de moins de 6 ans. Nous avons commencé par récurer une zone de la grande tente afin qu’elle soit suffisamment propre pour y poser des tapis (qui eux n’ont pas été lavés de mémoire de volontaire). Une fois les tapis posés, nous mettons de la musique et nous allons à la recherche d’enfants, qui finissent par nous suivre à travers le camp. Lorsque nous avons réuni un groupe d’une quinzaine d’enfants, nous retournons vers la tente et enlevons nos chaussures avant de commencer. C’est là que nous nous rendons compte que la plupart des enfants n’ont pas de chaussettes, alors qu’il fait une douzaine de degrés avec de la bise… pas top notre plan. La volontaire en charge de l’atelier débute alors avec une histoire en anglais en montrant le livre plein d’images. Deux enfants plus grands viennent se blottir contre moi en me disant qu’elles ont froid. Les petits suivent avec attention l’histoire  du jour, où l’on doit faire ensemble le bruit des animaux, et je suis tellement heureuse de les voir en confiance dans cette bulle enfantine. J’ai l’impression que nous avons réussi à leur rendre l’espace de quelques heures leur monde fait de jeu, d’imagination et d’insouciance. Nous continuons avec une chanson, puis nous jouons et dessinons avec eux encore deux heures. Cela ne cesse de nous frapper à quel point les enfants ici ont tant besoin d’attention. Dans tous les cas, beaucoup d’enfants dès l’âge de deux ans se baladent seuls dans le camp, et nous en connaissions même un qui du haut de ses 4 ans conduisait sans surveillance la poussette de sa sœur âgée d’un an.
 
Allée entre les portes à cabines
Je participe ensuite à la fin de l’atelier de « Women’s self expression », qui a pour but d’offrir un espace de paroles pour les femmes et est ouvert aux résidentes comme aux volontaires. Il a aussi lieu dans la tente et nous n’avons pas chaud. Heureusement, il y a du thé pour nous réchauffer. Au moment où j’arrive, il y a deux résidentes, dont une adorable jeune fille de 17 ans qui sait traduire anglais-farsi, et cinq volontaires. Il y a des sessions qui marchent mieux que d’autres, parait-il. Il faut préciser que ce jour-là était férié en Grèce (on commémorait le refus de la Grèce de se joindre aux forces de l’Axe en 1940, ce qui propulsa le pays dans la 2e guerre mondiale). En conséquence, les enfants ne sont pas allés à l’école et les mères étaient occupées avec eux. L’amitié entre volontaires et résidentes avait été le premier sujet lancé au début de l’atelier. Il avait notamment été question d’une volontaire qui parlait de sa gêne de donner son adresse Facebook à une résidente avec laquelle elle s’était lié d’amitié, puisqu’elle se sentait mal à l’aise de montrer à travers ses photos le confort dans lequel elle vivait. A mon arrivée, la discussion tournait autour des besoins des résidentes et des aspects du camp qui pourraient être améliorés. La résidente la plus âgée évoque alors le besoin d’avoir des cours d’anglais. Sarah, l’écrivaine soixantenaire hippie qui animait l’atelier (et à laquelle je porte beaucoup d’admiration, puisqu’elle a quand même préalablement fait du volontariat 7 mois sous tente à Lesvos) lui indique qu’il existe certains cours d’anglais. Cependant, ceux proches du camp sont tous pleins et dispensés en ville par les centres communautaires sont inaccessibles car il faudrait avoir l’argent pour le billet de métro. La native du Kentucky répond alors que Project Elea a conscience de ce manque et qu’ils voulaient implémenter des cours eux-mêmes. Malheureusement, le ministère a refusé en raison du fait qu’ils insistent que tout soit fait en règle et qu’ils ne veulent que des enseignants professionnels pour dispenser des cours. Néanmoins, confie Sarah, ils ont le projet d’ouvrir une bibliothèque qui servirait aussi de centre de formation et ils ne comptent plus cette fois demander d’autorisation. Elle ne peut juste pas dire quand ce sera, puisqu’ils n’ont pas encore les fonds. C’est là que j’interviens pour dire le cœur ému que… grâce à nos amis en Suisse, nous avons presque récolté les fonds nécessaires et qu’ils les recevront la semaine suivante ! C’est assez incroyable d’avoir l’impression d’arriver avec une baguette magique qui changera si concrètement le quotidien et peut-être l’avenir d’une bonne quantité de gens. Je dois avouer que je me sentais honorée à ce moment-là de pouvoir porter la générosité de tous mes amis jusqu’aux migrants. Continuez vos dons, il ne me reste plus que 500chf à récolter !! 

Catherine Rime
Rue du Midi 13
1003 Lausanne
CP: 17-446820-9
 
Le petit qui sait faire des bracelets tout seul
J’ai poursuivi en rejoignant Alice et Rebecca pour un atelier de tresses sur cheveux et de bracelets brésiliens. C’était vraiment un super moment avec les enfants, pour une fois remplis de calme. Ils étaient une douzaine, tous crochés à leur activité. J’ai même eu le bonheur (et un peu de fierté, j’avoue) à voir un enfant de 4-5 ans se débrouiller avec son propre bracelet. Il est venu me demander comment faire et j’ai hésité à lui proposer une autre activité car je le croyais trop petit, mais après lui avoir longuement expliqué et montré les gestes, il réussissait bel et bien tout seul ! Ce n’est pas facile de trouver des activités constructives à faire avec les enfants lorsqu’on a à la fois peu de moyens financiers, mais aussi langagiers. Pour cette raison, on tombe parfois dans des travers comme la distribution de stickers, qui les rend excités et dont ils se désintéressent immédiatement. Je félicite donc mes amies Emilie, Rebecca et Alice qui sont arrivées avec des super idées, en s’assurant avant de partir que les grandes filles de 12 ans avaient compris les gestes pour pouvoir continuer de les expliquer aux autres après notre départ.

Par hasard, ce jour-là était organisé une rencontre où Project Elea proposait à chacun (mais surtout aux volontaires évidemment) d’amener de la nourriture de son pays. Emilie avait gentiment pris le temps de faire des spätzli au fromage qui s’est ajouté aux plaques de chocolat apportés par Alice. L’événement a fait un tabac ! Nous avons posé une vingtaine de plats internationaux sur des tables à l’extérieur et mis des assiettes et services à disposition. La table fut immédiatement remplie, non sans une certaine cohue, mais aussi avec beaucoup de curiosité et de bonheur. Il faut cependant que je sois honnête en avouant que nos spätzli n’ont eu du succès qu’auprès des enfants, la plupart des femmes se refusant même à goûter en voyant leur aspect ! Durant ce « repas », j’ai aussi recroisé l’homme qui nous avait apporté du thé sous la pluie le premier jour. Il a de très longs cheveux et je lui ai fait la remarque qu’il ressemblait à un artiste. Il m’a répondu que c’était en effet le cas, puisqu’il tournait auparavant dans des films au Pakistan… Nous sommes maintenant amis sur Facebook et lorsque je le vois sur une photo datant de l’hiver passé bien vêtu devant un sapin de Noël (il est chrétien), je me dis qu’on ne quitte pas tout ça pour rien et que la situation devait vraiment être insoutenable.
 
Christophe, acteur pakistanais

C’est après ce super moment de partage que nous commençâmes nos au revoirs. Ce n’est pas un moment facile évidemment. Nous n’avons pas réussi à retrouver la moitié des enfants que nous avons vus pour les saluer. Même pas Rayan… Nous aurons tout simplement disparu pour eux. Ce départ inexpliqué alimentera probablement malgré nous au sentiment d’instabilité auquel ils sont déjà accoutumés. Rien de plus à dire sur les adieux. L’absurdité de pouvoir s’en aller, remonter dans notre avion et rentrer chez nous alors que d’autres ont vu leur monde détruit et doivent continuer de souffrir… Je ne trouve pour l’instant pas plus de mots.

Dernier départ

1er novembre

De retour en Suisse, je prends le temps d’écrire encore quelques réflexions, de tisser des liens. Ce n’est pas évident de lâcher un peu prise lorsque cela fait plusieurs semaines qu’on s’informe, se prépare et qu’on investit beaucoup d’énergie dans la propagation d’information, la récolte de dons, que des liens se sont tissés ou renforcés avec les réfugiés, etc. J’ai quitté la Grèce par avion, sans aucune difficulté, tandis que les réfugiés victimes à la fois de la politique mondiale et de l’indifférence de l’Europe restent parkés dans le no man’s land du camp. La différence entre eux et moi ? J’ai simplement la chance d’avoir le bon passeport. La situation est affreusement injuste, mais elle n’est pas impossible à changer. 

La souffrance humaine ne se rencontre pas de manière frontale dans le camp. Les besoins vitaux tels que la sécurité, la nourriture, un toit et la santé sont après tout couverts. Il faut toutefois garder en tête qu’Eleonas est un camp « 5 étoiles », comme les volontaires en charge me l’ont souvent rappelé, et qu’il n’est pas représentatif des camps grecs – encore moins des camps situés à l’extérieur de l’Europe. Ce n’est qu’en prenant le temps de se poser quelques questions que l’on se rend compte des épreuves extrêmes que vivent les résidents. Ils sont 2'500 dans ce camp, 8 à 12 par porte à cabine, ce qui représente généralement 2 familles ou alors des gens seuls. Cela signifie qu’il n’y a presque aucun moyen d’avoir de l’intimité nulle part, ni même d’être entre soi. Du côté des bons passeports, nous avons la chance de décider de ce que nous mangeons, comment nous nous habillons, quelles activités nous allons faire, vers quel emploi nous voulons nous diriger, comment nous allons nous ressourcer le weekend. Les résidents d’Eleonas, eux, ne peuvent rien choisir de tout cela et ne sont qu’en position de dire merci pour ce qu’on leur accorde. Devant les injustices, je pense en particulier au traitement administratif de leur dossier, ils n’ont aucun moyen de se défendre. Comme mon ami Suhaib, qui pense que son dossier a été mis en bas de la pile car il a menacé de faire une grève de la faim. Son unique moyen d’action s’est peut-être retourné contre lui. 

Les migrants d’Eleonas – dont la vaste majorité sont des réfugiés - arrivent en détresse et portent généralement un passé de violence. Ils sont passés par des routes dangereuses, ont été brutalisés par la guerre, puis se sont retrouvés à la merci des passeurs, des autorités corrompues, des forces de la Méditerranée, etc. Comme Romain me le faisait remarquer, nous pensons souvent aux bateaux gonflables invraisemblablement chargés lorsque nous évoquons la crise migratoire – ou comme l’anglais le dit plus justement, « the refugee crisis », puisque c’est bien le nombre de réfugiés qui a explosé et non de migrants dits « économiques ». Mais la mer n’est pas un obstacle par-dessus lequel on peut sauter pour se retrouver en sécurité, et le combat des gens qui ont fui leur terre n’est de loin pas terminé après ce passage. Cette étape ne marque que le début d’une longue attente dans les camps, des combats administratifs, de l’angoisse de ne pas savoir dans quel pays européen on sera relocalisé. Pire encore, et si tout cela n’avait servi à rien ? Comment s’imaginer attendre chaque jour durant des mois et des mois, tout en sachant que les portes de l’Europe ne s’ouvriront peut-être jamais.

Si nous ne possédons pas le pouvoir de changer des destins, nous pouvons adoucir un peu la route de ceux qui endurent de telles souffrances. Se rendre sur place dans les camps en Grèce, en Italie, en Turquie ou ailleurs donne aux réfugiés un message d’espoir disant qu’il y a des gens qui ne les oublient pas. C’est une personne de plus pour apporter de la vie à des camps qui seraient certainement autrement plus moroses sans la présence des volontaires. Au final, faire du volontariat durant une semaine ou deux ne demande que très peu d’efforts. Ce séjour m’a coûté 700chf en tout (500chf de plus que ce que j’aurais dépensé en Suisse durant la même période), et m’a aussi permis de passer de supers moments avec mes amis en ayant des échanges riches. Bientôt, la nouvelle bibliothèque et le centre de documentation d’Eleonas sera à la recherche d’enseignants en tous genres. Pourquoi pas passer une semaine à Athènes en faisant du tourisme le matin et du volontariat l’après-midi, comme nous avons vu faire ?  L’idée est lancée ;-)

Je ne reviens pas abattue de ce voyage, mais plutôt émue, triste aussi, révoltée, enrichie et « empowered ». Nos petites actions peuvent avoir de grandes conséquences. Vous êtes aujourd’hui plus de 1’500 à avoir cliqué sur le blog et vous en parlerez sans doute autour de vous, si bien que cela drainera probablement de nouveaux volontaires et sensibilisera un grand nombre de personnes. Je suis partie seule en avril, avec 2’500chf. Cette fois, nous sommes retournés à 5 en ayant levé plus du double entre nous tous, ce qui permettra de mettre sur pied une bibliothèque dans le camp d’Eleonas et financer d'autres projets tels qu'un jardin potager, etc. Pour cela, un immense MERCI du fond du cœur :-D

Aujourd’hui à l’école, j’ai revu la classe d’accueil à laquelle j’enseigne. J’avais évoqué avec eux mon voyage avant les vacances, puisque je leur avais proposé de m’enseigner un peu d’arabe et de farsi. Ils m’ont immédiatement questionnée sur mon voyage et m’ont demandé d’en parler. C’était un moment émouvant d’échanger autour de ce que j’ai vu et d’entendre les élèves parler de leur propre vécu des camps et de leur entrée en Europe. Autant leur confiance que leurs remerciements m’ont énormément touchée.

Effectivement, la crise migratoire ne concerne pas que la Grèce, et nous avons la possibilité d’aider aussi en restant en Suisse. Les moyens sont nombreux pour exprimer votre solidarité. Une façon très concrète de soutenir les demandeurs d’asile aujourd’hui est de s’engager auprès du Collectif R à Lausanne, qui protège des personnes déboutées et menacées d’expulsion, en particulier à cause des accords de Dublin. Une autre est de parrainer un mineur non-accompagné. Leur nombre a récemment explosé, puisqu’ils sont 2'700 à être arrivés dans le pays en 2015. Le projet Action-Parrainages tout récemment mis sur pied propose à des couples ou familles de s’engager à faire deux sorties ou activités par mois avec le jeune parrainé.

Je vous remercie très sincèrement pour votre lecture. En attendant le prochain séjour de volontariat, je me réjouis de me rendre demain avec Romain au foyer du Chasseron pour débuter notre parrainage et partager une nouvelle aventure humaine avec un jeune venu d’Afghanistan.

Collectif R : http://www.desobeissons.ch/

Action-Parrainages : http://www.eglisemigrationvd.com/wpweb/?page_id=906